Moi, je suis un homme de la forme. La forme peut être gracile. Le fond ne peut être que lourd, ne trouvez-vous pas? Il véhicule cette fâcheuse prétention de vérité qui me rebute. Ce qui me transporte n’est jamais tant l’objet représenté que la lumière dans laquelle il est rendu. Ce qui m’émeut n’est pas la pensée, mais les mots choisis pour l’exprimer et leur agencement. Est-ce cela être un esthète ?

Il m’arrive d’avoir raison en disant vrai. Je ne veux pas dire par là que j’ai raison de dire la vérité. Je veux dire qu’en disant vrai, parfois on me donne raison. Il arrive aussi que je dise vrai sans jamais obtenir raison. Dire la vérité et avoir raison sont deux choses éminemment différentes. Et il est affligeant de constater combien, entre elles deux, est marquée la préférence des hommes.

Il me semble que l’esprit de l’homme est bien trop étroit pour pouvoir embrasser l’étendue et la complexité de son âme. Une trop menue chaussure pour un pied bien trop grand. Ci-dedans réside toute la beauté et tout l’intérêt de l’objet humain: dans le subtil balancement entre le fait d’avoir la certitude de pouvoir s’appréhender lui-même et celui d’être sûr de n’y parvenir jamais.

Avez-vous remarqué ? Appuyer sur le bouton afin de faire passer le feu au vert figure systématiquement la première chose – et d’ordinaire la seule – que font les piétons lorsqu’ils arrivent au passage clouté pour traverser. Comme s’il n’y avait là rien d’autre à faire. Cela est pour le moins mécanique, ne trouvez-vous pas ? Et de le constater si souvent, me frappe de stupeur.

Il est des jours où je vois les hommes laids. Tant par leur corps qu’au fond de leur cœur. Il en est d’autres où je les trouve beaux, Et j’ai l’intuition que quand ils me plaisent, je puis déduire que je me sens bien, et inversement. Puis, je me demande : me servir d’eux pour jauger l’état de mon âme, n’est-ce point leur accorder un trop bel honneur?

Certes, il se peut qu’il existe des imbéciles heureux. Mais combien – l’avez-vous remarqué ? – combien plus nombreux sont ceux pour qui l’imbécillité représente justement le plus infranchissable obstacle à la sérénité?

Aussi – vous l’aurez compris – l’espace ne signifie pas pour moi une quelconque grandeur physique chiffrable : l’espace se définit plutôt comme la possibilité, vitale et nécessaire, de se soustraire aux bourdonnements de l’humanité.

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