Des pavés irréguliers, au fond un collège, géant, immense. Des enfants qui courent, qui crient, qui se retrouvent. Un sac soudain lourd. Lâcher la main qui m’encourage. J’avais hâte d’être une grande pour y aller, j’hésite. La voix me porte. Ne pas se retourner. Ne pas pleurer. Ne pas se tordre les pieds. Traverser cette grande cour. Seule, pour la première fois.
On a répété le trajet. Après la grande maison rose prendre à droite. S’arrêter au feu rouge. Poser pied à terre. Respecter les stops. Ne pas oublier que les voitures ne m’entendent pas. Etre attentive aux camions, ne pas se laisser distraire. Bien attacher son sac sur le porte-bagage. Rouler sur la piste cyclable. Je verrouille l’antivol.
Faire la manœuvre au camion de déménagement. Envahir le trottoir de cartons. Observer les voisins. Repérer le café. La supérette aussi. Elle doit bien avoir les mêmes produits qu’à la maison. Saluer de la fenêtre les parents qui s’en vont. Regarder ma nouvelle rue. Se dire que je vais devoir l’apprivoiser.
Glisser sur des feuilles mortes humides agglomérées. Penser qu’ici les balayeuses sont inexistantes. De toute façon, je ne connais pas le mot dans cette langue. Espérer retrouver une odeur familière, un bruit, un son qui ne serait pas insolite. Arpenter les rues avec un ami, se perdre dans les parcs qui les bordent, en ressortir avec un futur mari.
Monter, descendre, casser un talon. Pester contre cette ville à géométrie étrange. Découvrir qu’une ruelle peut se terminer dans l’eau. Je les trouverai les raccourcis, en tailleur et par jour de marché. Maintenant je sais qu’un peu de temps rend les chemins familiers.
Ralentir le pas pour qu’il puisse suivre. Lui expliquer qu’il faut tenir fermement ma main. Lui montrer la rue de mon enfance, découvrir qu’elle a rapetissé. Tendre le bras au-dessus du passage clouté. Remercier l’automobiliste arrêté.
Devant la grande grille, lâcher sa menotte et le laisser traverser une cour, aux pavés réguliers.