« Il avait vingt ans. Comme c’était bon d’avoir vingt ans lorsqu’on avait fini par en avoir trente-deux, lorsqu’on en avait eu auparavant vingt-cinq et trente, et puis un jour, par un splendide après-midi de septembre ou d’octobre, lorsqu’on avait eu trente-deux ans, jour pour jour. Il avait vingt ans et il était ivre, ivre d’amour, de fureur toute printanière, sans accroc, sans fausse note. Ca faisait longtemps que Fabrice n’avait plus eu vingt ans. La dernière fois, cela remontait à un soir d’août d’une année perdue où il s’était glissé comme malgré lui dans l’eau tiède d’une piscine couverte de roses, dans le jardin d’une amie qui ne s’appelait pas encore Laurraine, mais qui lui ressemblait étrangement. Ils avaient barboté dans cette vasque odorante jusqu’au milieu de la nuit, parmi les reflets de lune et les pétales épars. C’était la dernière fois que Fabrice avait eu vingt ans. Il se rappelait cette nuit comme un grand lit d’ondes vaporeuses et il y dérivait encore, aux confins d’un âge éternel.
Vingt ans, cela compte, dans un vie.
(…)
Vingt ans qui coulent comme des larmes sur un visage cher, vingt ans qui caracolent au milieu des plaines verdoyantes et des campagnes perdues, vingt ans qui dérivent dans l’espace et qui un beau jour se retrouveront en orbite autour du soleil, vingt ans qui roucoulent sous la fenêtre d’une inconnue aux longues tresses (rubans), vingt ans qui ruent, vingt ans qui sonnent, vingt ans qui palpitent comme un amoncellement de coeurs dans un fossé, vingt ans comme des yeux de Laurraine un après-midi d’automne devant une assiette remplie de frites bien grasses et de côtelettes d’agneau, vingt ans comme ces mêmes yeux sur un trottoir filant vers leur destin… »

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